« Il y a pas mal de groupes qui se vantent d’avoir une démarche
politique, qui ont des slogans ; nous, on pense intimement que s’il y a
des choses que doivent passer dans notre musique, elles ne doivent pas
forcément être expliquées. Il ne faut pas prendre les gens pour des
cons. » Comment ça se passe avec le public quand vous jouez en Syrie ou à Beyrouth ? Serge Teyssot-Gay : En tant qu’européen, je trouve que le public était
super à l’écoute pour chaque concert qu’on a donné là-bas. Les gens
sont enthousiastes, surtout les jeunes, probablement parce que c’est
une couleur qui est nouvelle pour eux, la façon qu’à Khaled de jouer de
l’oud est très différente de la manière traditionnelle.
Khaled AlJaramani : En Syrie, on a fait deux concerts, où il y avait un
peu plus de cent personnes, les gens ont aimé la musique d’Interzone,
surtout les jeunes. Pour les personnes habituées à écouter de la
musique traditionnelle, c’était peut-être un peu plus difficile. Avec
le nouvel album avec plus de musiciens, ce genre de public va plus
apprécier.
As-tu été surpris par l’attitude du public européen ?Au début, oui, car c’était complètement nouveau pour moi de jouer dans
un club, je ne l’avais jamais fait auparavant. C’était un peu difficile
au début ; même le son, je n’étais pas familier avec ça. Maintenant, je
suis habitué à jouer dans ce genre d’endroits et à communiquer avec le
public.
Avez-vous déjà commencer à travailler sur une suite de Deuxième jour ?Serge Teyssot-Gay : Non, c’est trop tôt, il faut déjà vivre cet album sur scène, on a envie de le défendre, on verra plus tard…
Avez-vous pensé à faire des musiques de film ? Il me semble que votre travail s’y prêterait bien… ?On aimerait beaucoup, ça nous plairait ; comme notre musique est
instrumentale, ça reste ouvert et ça pourrait marcher avec des images.
Après, je ne sais pas comment on pourrait intéresser ou contacter des
gens pour ce genre de projet.
Est-ce une démarche politique de proposer une musique qui est
nourrie de métissage culturel à une époque ou Sarkozy, Royal et Le Pen
parlent d’« identité nationale » ?On ne brandit pas ça : on est ensemble avant tout parce qu’on aime
faire de la musique tous les deux. Après, on peut dire que c’est un
joli pied de nez à cette situation où la peur est nourrie par les
politiques et les religieux, où les gens ont un peu tendance à se
regarder de travers. Ça nous fait rigoler parce qu’on sait pertinemment
qu’il y a des façons de vivre et de communiquer autrement. On a
beaucoup parlé de la Syrie comme étant un pays dangereux, un pays de
l’axe du mal, mais les gens sont comme partout, ils ont envie d’être
tranquilles, d’avoir la paix, d’être heureux. Depuis des centaines
d’années, ce sont les politiques et les religieux qui nous cassent les
couilles, qui nous étouffent et qui en rajoutent… Oui, c’est un beau
pied de nez, mais on ne revendique pas, on n’aime pas cet aspect là… Il
y a pas mal de groupes qui se vantent d’avoir une démarche politique,
qui ont des slogans ; nous, on pense intimement que s’il y a des choses
que doivent passer dans notre musique, elles ne doivent pas forcément
être expliquées. Il ne faut pas prendre les gens pour des cons.
Vos concerts sont l’occasion d’une rencontre entre deux communautés,
deux publics, l’un appréciant le rock ‘n roll, l’autre la musique
arabe. Est-ce une fierté ?Oui, ça fait vraiment plaisir, il y a pas mal d’arabes et de blacks qui
vont à nos concerts et qui d’ordinaire ne vont pas dans les clubs. Les
organisateurs nous le disent, c’est la première fois que certains
viennent à ce genre de concert. Il y a aussi des gens qui viennent
parce qu’ils connaissent Noir Désir et qui sont hyper surpris, parce
que ça n’a rien à voir. Certains sont hyper déçus, d’autres sont
surpris, c’est la vie quoi…
« La démarche de Led Zeppelin m’a toujours passionné, depuis le
début, ce sont des gens qui ont inventé des choses, j’étais très
sensible aux compositions de Jimmy Page, notamment Kashmir. Sur notre morceau Cana, il y a ce type de recherche, de construction… »Le mélange entre le rock et la musique arabe fait penser au titre Kashmir de Led Zeppelin et à la carrière solo de Robert Plant. C’est quelque chose qui vous a marqué ?Oui, le dernier album de Robert Plant est magnifique je trouve ; avec
Khaled, on l’a beaucoup écouté. La démarche de Led Zeppelin m’a
toujours passionné depuis le début, ce sont des gens qui ont inventé
des choses, j’étais très sensible aux compositions de Jimmy Page,
notamment
Kashmir. Sur notre morceau
Cana,
il y a ce type de recherche, de construction ; comme on n’a que deux
instruments, on ne peut pas autant développer, on reste sur
l’essentiel, on ne peut pas développer des étages harmoniques très
complexes. Mais c’est quelque chose qui continue de m’intéresser et je
continue de chercher dans ce sens : avoir l’impression avec une guitare
de pouvoir faire évoluer quelque chose qui est composé pour plusieurs
personnes, notamment des cordes. La limite de ça, c’est que c’est vite
pompeux, c’est difficile de trouver quelque chose de juste dans
l’intention, c’est vite barbant.
En Syrie, est-ce que les gens écoutent de la musique européenne ou américaine ?Khaled Al Jaramani : Oui, mais ce qui passe sur les principales télés et radios, ce n’est pas de la bonne musique (rires) !
Quelle est la situation des musiciens en Syrie ?En Syrie, c’est très difficile de vivre de la musique. Tous mes amis
qui sont musiciens doivent donner des cours et jouer dans des
restaurants. Parfois, ils jouent pour l’orchestre national. Il y a un
gros problème avec les labels en Syrie ; c’est difficile de publier sa
musique là-bas, il y a des lois sur les copyrights, mais il y a
beaucoup de marchés où la loi n’est pas respectée. Il y aussi beaucoup
de problèmes avec la télévision, les radios et les festivals, il faut
donc vraiment se battre pour vivre de sa musique !
Serge, te souviens-tu de tes derniers passages à la Coopérative de
mai : une lecture de Georges Hyvernaud en 2001, un concert de Noir
Désir en 2002, puis d’Interzone en 2005 ?Je me rappelle de tous les concerts en fait, j’ai de super souvenirs
ici, les gens qui tiennent ce lieu sont super accueillants. C’est un
immense plaisir de venir ici, donc forcément, tu t’en rappelles…
Peux-tu parler du livre/disque qui est sorti récemment ?J’ai fait un livre/disque avec Lydie Salvaire, Marc Sens et Jean-Paul
Roy. Ça parle beaucoup de projets de vie débiles, comme on nous vend
souvent à la télé, des non dits dans la famille, cette parole qu’on se
cache à nous-mêmes entre nous alors qu’on est de la même famille. Cela
va chercher dans ce terrain là, Lydie Salvaire écrit de façon assez
virulente.
Peux-tu parler des groupes qui sont vos amis sur Myspace ?Sleppers, j’aime beaucoup leur musique et ce sont des amis.
Dupain, j’aime certaines choses. Les
Young Gods, c’est le meilleur groupe du monde pour moi (rires) ! Et
Doppler,
c’est un groupe de Lyon qui est une grosse surprise, j’adore leur
disque. J’ai croisé le batteur de Doppler à l’occasion d’un concert, il
m’a dit qu’il jouait de la batterie sur le disque d’
Interzonependant ses pauses, pour se détendre ! On s’est échangé nos numéros de
téléphone et il m’a fait écouter les parties de batterie qu’il a
enregistrées pour le premier album d’Interzone, ça tire plus vers
Led Zeppelin du coup, car il a un jeu à la
John Bonham…
C’est difficile de jouer avec un batteur, il faudrait que Khaled ait un
oud électrique. Sinon, c’est ingérable, donc on oublie…
« En fin d’année 2007, Bertrand doit sortir de
taule, on a envie de se revoir, de refaire de la musique… Je veux me
laisser le temps de retrouver mes potes et de faire de la musique avec
eux, je ne sais pas où ça me mènera, j’ai du mal à me projeter plus que
ça. »Quels sont vos projets à court et moyen termes ?Pour le moment c’est la tournée avec Interzone, après je vais passer à
Zone Libre,
qui est un autre projet très électrique. On jouera à la Coopé en mai je
crois. C’est un trio instrumental complètement déstructuré, qui n’a
rien à voir avec une structure de chanson, on s’en fout totalement de
ce format. Il y a
Marc Sens à la guitare, qui fait plus de la musique abstraite que des notes ou des mélodies, son jeu est très instinctif.
Cyril Bilbeaud, c’est l’ancien batteur d’un groupe qui s’appelait
Sloy dans les années 90. On a fait un album,
Faites vibrer la chairquoi est sorti su T REc. On vient d’enregistrer le deuxième album, la
musique seulement parce que ce sera un album de rap avec Amé un membre
de
La Rumeur et Casey, une artiste du nord de Paris. Ce sont
des amis et ça fait longtemps qu’on avait envie de faire des choses
ensemble, ça sortira dans un an et demi car tout le monde a des
activités parallèles, il faut avoir le temps de se retrouver ensemble.
Voilà pour Zone libre… Pour Interzone, on ne sait pas ce qu’on fera
après la tournée… De toute manière en fin d’année 2007, Bertrand
(Cantat ndr) doit sortir de taule, on a envie de se revoir, de refaire
de la musique… Je veux me laisser le temps de retrouver mes potes et de
faire de la musique avec eux, je ne sais pas où ça me mènera, j’ai du
mal à me projeter plus que ça. Khaled AlJaramani : J’ai un projet avec
Tari Azkhbari, qui
chante sur Deuxième jour ; nous pensons à commencer à travailler
ensemble sur des musiques et des textes. Ce ne sera pas que des
chansons, ce sera un dialogue entre nos musiques et les textes.
« Zone Libre, c’est tout sauf de la chanson parce qu’on n’aime
pas ça. On n’a pas de limites, on n’en veut pas… On joue plus sur les
langages de chacun, on essaie de voir comment ça peut s’entrechoquer. »Tu peux parler un peu de Zone libre ? Comme ça sonne ? Un peu comme Marc Sens sur scène, très expérimental ? Serge Teyssot-Gay : Oui, c’est dans cette lignée là, il n’y a pas de
chant du tout, les seules voix qu’il y aura ce sera des potes qui
viennent du rap comme je te disais à l’instant. Peut être le chanteur
de
The Ex,
si on le croise (non, je déconne !). Zone Libre, c’est tout sauf de la
chanson parce qu’on n’aime pas ça. On n’a pas de limites, on n’en veut
pas… On joue plus sur les langages de chacun, on essaie de voir comment
ça peut s’entrechoquer. On fait parfois des sortes de duels et après,
Cyril, le batteur, choisit qui il va suivre. C’est pas mal sur l’impro,
mais tout n’est pas improvisé, on a quand même aussi des compositions :
sur scène, on va jouer le disque qu’on a enregistré.
Tu disais que tu n’aimais pas la chanson française… Est-ce que tu as lu le dernier livre de Luz J’aime pas la chanson française ?Non, mais je vais l’acheter ! Parce que ça me concerne directement. Cela dit j’aime beaucoup, enfin j’adore,
Loïc Lantoine ; ça c’est de la super chanson française, on va parler des gens qu’on aime ! »
Sites Internet : www.myspace.com/steyssotgay, http://sergeteyssot-gay.com/, www.myspace.com/librezone, www.lacoope.org.
Photos 1, 2, 3 et 4 :
Bertrand Lasseguette (La Cartonnerie, Reims, avril 2007), photos 5 et 6 :
Flore-Anne Roth (La Coopérative de Mai, février 2005)
auteur : Pierre Andrieu - pierre@foutraque.com
interview publiée le 08/06/2007