Nombre de messages : 1006 Localisation : Fermons-les-clans Date d'inscription : 27/09/2005
Sujet: Alain Bashung / Noir Désir Mar 17 Mai - 19:27
Les chevaliers de la table ronde, ce n'est pas qu'une légende. C'est Noir Désir, fier comme un bar-tabac qui lorgnerait vers l'olympe. Mais la question n'est pas que là. Leur dernier album, "des Visages des Figures", je le recommande aux brutes et aux âmes sensibles.
Alain Bashung - Tels Alain Bashung Barclay / Universal Avant de se séparer, Noir Désir avait repris un titre de Bashung, Aucun express, pour un riche album-hommage. Une dizaine d’années plus tôt, ils s’étaient réunis autour d’un micro pour un dialogue passionnant et inédit dont voici un large extrait.
C’était le 9 mai 2000. Au début du siècle. Bashung sortait Climax, compilation riche d’une série de duos avec Rachid Taha, Rodolphe Burger, M, Marc Ribot ou Noir Désir. Il lançait aussi son site personnel et, pour créer l’événement, avait invité Noir Désir au grand complet à un entretien croisé, en direct et en streaming. La retransmission, à l’image d’un web balbutiant, n’avait été vue que par une poignée de personnes. En voici une retranscription, ainsi qu'un entretien avec Denis Barthe autour de l'album hommage Tels Alain Bashung. Entretien par Thierry Danet, adapté par Marc Besse
Bertrand Cantat – Se retrouver comme ça autour d’un titre, c’est un moment important. On s’était déjà croisés avec Alain, lors d’un concert mémorable à Blois et pour une tournée ensemble au Québec. Denis Barthe – Nous étions convenus que l’un ferait la première partie de l’autre un soir sur deux. Nous n’en demandions pas tant : ouvrir tous les soirs nous aurait largement suffi… Quand Bashung fait ta première partie, tu caresses juste un vieux rêve… Bertrand Cantat – Alain a donné des choses incroyables à tous les groupes de rock qui essayaient de sortir des sentiers battus au début des années 80. Pour nous, un disque comme Play blessures ou une chanson comme Imbécile ont montré une sorte de chemin à suivre. Le niveau est tellement haut… Tu mesures la somme de travail qui te reste à accomplir pour y arriver. Ça t’indique aussi le degré d’exigence à avoir avec toi-même. Alain Bashung – Ça y est, ils commencent, ils sont fous… Quand ce projet de faire une chanson ensemble s’est présenté, je n’ai rien imposé. Finalement, ce n’est pas un hasard que vous ayez opté pour Volontaire. C’est un souffle romantique dans la lignée de ce qui vous anime. Quand on chante ensemble, il faut que les sensibilités de chacun soient respectées, sinon on se trouve dans une association forcée où il faut à tout prix faire coller des pièces d’un puzzle qui ne sont pas compatibles. Nous avons tous grandi avec nos différences et se retrouver autour d’une chanson, c’est avant tout se compléter, bâtir. Au départ, notre seule ambition consistait à faire quelque chose de propre, de très énergique. Puis la magie s’est invitée. Denis Barthe – On pensait d’abord reprendre Aucun express. Mais après l’avoir écoutée, aucun d’entre nous ne voyait ce qu’on pouvait faire de plus. Alain Bashung – C’est parfois très pénible de réécouter ses propres chansons. Elles sont toutes liées à certains souvenirs, parfois fabuleux mais aussi souvent pénibles… C’est la difficulté : trouver la bonne zone de frottement pour proposer une vraie idée de relecture qui corresponde de préférence à un moment heureux… Ce qui m’intéressait là, c’était aussi la notion de groupe. Noir Désir est plus qu’une somme de quatre musiciens, c’est une cohérence. J’ai dû me glisser dans leur son, trouver ma place à côté d’eux pour qu’un dialogue s’installe. J’ai ma méthode pour y arriver parce que j’ai survolé beaucoup de styles dans ma vie et que j’ai toujours eu besoin de les pervertir. Je sais à quel point détourner les genres peut permettre d’arriver à ce que l’on est soi-même. Sans perdre sa spontanéité, il faut même parfois aller jusqu’à la déformation pour se découvrir pleinement. Ici, la situation est un peu plus compliquée parce qu’il faut que je participe à la déformation de mes propres chansons. Denis Barthe – Nous sommes habitués au chant de Bertrand et la première fois qu’Alain a pris le chant, ça nous a déroutés… Nous devions remettre en cause ce que nous savions déjà faire. Bertrand Cantat – Un groupe est bourré de réflexes, d’habitudes qui le soudent mais qui finissent à la longue par le desservir. Nous avons tellement de codes entre nous ! Nous ne savons même plus comment ils se sont installés et nous sommes incapables de les déchiffrer pour les démonter. La confrontation avec un autre répertoire puis la confrontation physique avec l’artiste, surtout lorsqu’il y a deux personnes au chant, permet de déconstruire ces mécanismes et d’entrouvrir certaines portes. Alain Bashung – Quand j’ai fini un album, j’ai souvent l’impression que je ne sais plus rien faire. Je me sens vide, comme si j’avais tout dit. Il faut presque que je me mette dans un état de manque pour réenclencher les choses. Comme je suis toujours insatisfait, ça m’oblige à revenir en permanence à ce que je viens de faire. Du coup, je peux prendre beaucoup de temps pour trouver sur quoi travailler à nouveau. Si je veux vraiment m’en sortir, je dois trouver un moyen de partager mon excitation avec d’autres. Alors, je peux espérer faire prendre forme à un nouveau disque. Denis Barthe – Barbara disait qu’elle n’avait jamais écrit que cinq chansons dans sa vie et qu’elle avait eu la chance de les décliner avec plus ou moins de succès. Ce genre de propos peut te faire peur quand tu es un jeune groupe et que tu commences à composer. Ce n’est pas une perspective très engageante. Alain Bashung – Pour les premiers disques, notre adolescence nous pousse à écrire très vite, à traiter certains sujets avec fougue. Puis on passe à d’autres états. Chacun a sa méthode pour négocier le passage de l’urgence à celui d’une écriture moins nécessaire. Certains écrivent des tonnes de chansons qu’ils travaillent tous les jours, de telle heure à telle heure, et en tirent des pépites qui les étonnent eux-mêmes. Moi, je ne peux pas fonctionner sur une répétition obsessionnelle, la musique ne peut pas naître de la routine… Je m’exprime par cycles. Je suis incapable de me mettre dans un état de désir artificiel.
Bertrand Cantat – Avec les années, on emmagasine un savoir-faire qui peut nous aider à nous mettre dans un état d’urgence, dans un instant un peu instable, périlleux parfois, qui peut faire que les choses glissent du bon côté. Ça ouvre une petite fenêtre, un état de nécessité, de curiosité dans lequel on redécouvre une partie de soi-même. Les rencontres artistiques peuvent catalyser ce genre d’instants… Je voudrais que chaque chanson soit importante mais il ne faut pas que je me persuade trop de ça sinon je n’arriverais plus à en faire… Serge Teyssot-Gay – L’arrivée d’une belle idée, la minute où une mélodie ou une grille d’accords naît en studio est un petit moment de suspension qu’on ne peut ni reproduire ni analyser sinon on risque de le perdre… Peu importe le jugement des autres, on doit être vrai avec nous-mêmes. Alain Bashung – J’ai parfois aimé des textes de mes paroliers parce qu’ils me ramenaient sous les latitudes d’autres artistes et que ça me faisait sourire. Par exemple, “y’é n’en pé plou” de Rebel était un petit clin d’oeil à Julio Iglesias. Bon, après ça dérive vers autre chose. Au début, sur Roulette russe, je chantais des trucs plus sociaux, des mecs qui perdent leur boulot, des suicides, des divorces… Mais à partir de Novice, les choses ont changé. J’ai fait un choix presque délibéré de ne plus vouloir comprendre mes textes ou, en tout cas, pas tout ce qu’ils pouvaient contenir. J’essaie de combattre le côté cartésien de la langue française, de contourner les mots… En revanche, le son et la façon de dire les mots peuvent aussi donner l’idée de ce qu’un texte signifie… Je vais jusqu’à envisager que l’auditeur comprenne autre chose et refasse sa propre chanson. Bien sûr, je surveille tout jusqu’à la moindre virgule mais je veux que quelque chose m’échappe. Si je ressens qu’il y a un sens caché derrière un texte, j’ai l’impression d’avoir réussi quelque chose : une chanson qu’on peut comprendre par l’imagination, par une perception poétique. Je préfère ressentir que comprendre. Bertrand Cantat – Les espaces de liberté que laisse Alain dans ses chansons sont des petits privilèges pour l’auditeur et on ne peut pas prétendre les débusquer à la première écoute. Par exemple, je ne me suis aperçu que récemment, donc vingt ans plus tard, qu’il y avait des sens cachés dans Lavabo. Quand Alain chante “Et tu voudrais que ça débouche sur quoi ?”, j’ai réalisé que ça faisait directement appel à la simple notion de “déboucher un lavabo”… D’autres l’ont certainement vu tout de suite, pas moi. Le jeu de mots, l’excitation cérébrale multiple et renouvelée, c’est le secret des chansons qu’on redécouvre sans cesse. Alain Bashung – Mais je suis d’une grande logique parfois, faut pas chercher trop compliqué (rires)… Je promène les mots et les gens les rattrapent. J’ai l’impression de créer des petits coins de détente, des jeux de l’esprit, sans enjeu… Denis Barthe – La différence entre Alain et nous se trouve au niveau musical. Lui pense la chanson en globalité, la musique dialogue avec le texte, vient le souligner, l’illustrer, le compléter. Chez Noir Désir, ce jeu de miroirs est plus rare, souvent l’énergie écrase l’illustration. Bertrand Cantat – Chez Alain, il y a aussi le son… Et là, on rejoint la poésie. Parce que le son, les espaces, le rythme et la diction donnent une autre dimension au texte. Cette question de souffle, de poésie chantée en français sur de l’électricité a été, au-delà du choix des mots, le casse-tête du rock en France. On a été souvent sur le fil, on a souvent donné dans la caricature. Alain Bashung – Aujourd’hui, Brel et les Doors peuvent se rejoindre. Ce n’était pas le cas dans tout ce qui était rock jusque dans les années 70. On essayait de faire sonner les mots, de fabriquer des trucs chantables, parfois en gueulant un petit peu. C’était tout une aventure pour ne plus avoir peur de dire des choses en y associant une guitare électrique. On cherchait à ne pas être trop en dessous, sans faire trop intelligent… Puis on s’est aperçu qu’on pouvait y aller. On a pris confiance en nous, on a accompli du chemin : on sait faire du sensible, de l’impertinent, un peu bizarre… Ça fait du bien !
Bertrand Cantat – Mais on reste sur le fil du rasoir quand on chante en français. Pourtant, on doit toujours garder à l’esprit que c’est aussi le fil conducteur, celui qu’il faut suivre en connaissant les risques du cliché. C’est Alain qui a commencé à changer les choses. Le paradoxe, c’est que pour ouvrir des champs de liberté dans la perception des textes, il faut procéder à une sélection draconienne des mots qu’on utilise. Là on peut parler d’écriture. Alain Bashung – C’est un travail sans fin… Il m’est arrivé de passer quinze jours sur une phrase… de six ou sept mots… Quinze jours !… C’est pas raisonnable (rires)… Bertrand Cantat – Quand tu es sur scène, le public attend que tu lui donnes un bout de toi-même, un bout de ta vie. Si tu ne donnes pas ça, tu commences à te couper de lui. Alors les tournées et chaque sortie publique deviennent des épreuves épuisantes. Tu es dans une situation où la souffrance se mélange au plaisir de donner. On s’est retrouvés presque à chaque coup dans des tourbillons incroyables, des moments de tension… Puis à un moment, on ne maîtrise plus grand-chose. Alain Bashung – C’est intéressant aussi de perdre le contrôle. La scène est un endroit où tu peux te permettre d’être radical. Tu peux faire du terrorisme, léger, sur scène. Et si les gens n’aiment pas à l’unanimité, tu peux toujours arrêter. Mais ça défoule, c’est comme faire la guerre à blanc. Après, tu peux recommencer sereinement à avoir de la délicatesse, du doigté… Denis Barthe – La scène, c’est le meilleur moment de la vie d’un groupe. Entre le public et nous, c’est une relation très charnelle, directe, qui pousse vers l’exigence et peut donner lieu à des événements étranges. Par exemple, l’attente des spectateurs est tellement forte qu’on peut décider de ne pas jouer des titres par peur de l’erreur. Alain Bashung – Gaby, je ne sais plus comment la chanter. J’en ai fait le tour tellement de fois, testé tant d’inflexions que j’ai décidé de la mettre sur la touche, quitte à décevoir un certain public. Aujourd’hui, il faudrait que quelqu’un la redécouvre et l’emmène ailleurs. Tu peux avoir été récompensé par tout un tas de prix, de Victoires, etc., il n’y a que sur scène que tu découvres la chose la plus importante de la vie : l’émotion. C’est la seule chose qui n’a pas encore été encerclée, expliquée, rationnalisée. Les soirs où je l’ai ressentie, j’aurais pu jouer de la harpe sur scène.
Noir Désir : dernière prise Souvenirs avec leur batteur Denis Barthe de l’enregistrement d’Aucun express sur l’album Tels Alain Bashung.
“Le jour où Bashung est mort, nous étions en studio, au Manoir, à Léon (dans les Landes – ndlr). Nous répétions en acoustique, en essayant de nouvelles choses. Lorsqu’il a fallu se décider sur notre présence ou non à l’enterrement, Bertrand savait qu’il allait faire là sa première apparition en public depuis longtemps. Il a mis quelques heures pour se décider mais dire un dernier au revoir à Bashung était plus important. Le lien très fort avec l’artiste et avec l’homme a dépassé tout le reste. Quand on nous a proposé de participer à cet album-hommage, ça a été pareil : nous répétions déjà depuis de longs mois, de façon très soutenue, nous étions apaisés, dans une phase créative, mais peut-être pas encore prêts à enregistrer quoi que ce soit. Pourtant, nous avons accepté presque tout de suite. Nous avons même été les premiers à rendre notre copie. Bashung a cet effet sur nous : nous obliger à sortir de nos habitudes, de nos travers. C’était l’opportunité rêvée de passer à l’acte, d’oser à nouveau figer une chanson sur bande. Cela faisait dix ans que nous n’avions pas connu cet instant en tant que Noir Désir. Aucun express est une vieille obsession. A l’époque de Climax, quand nous avons revisité Volontaire avec Bashung et Bertrand au chant, à deux voix, Aucun express était déjà en balance avec aussi Imbécile. Il était resté à quai. C’était l’occasion ou jamais de le “noir-désiriser”. Le contexte dans lequel nous avons enregistré a aussi contribué à nous libérer un peu plus. La Frête n’est pas un studio comme les autres : c’est une immense maison entièrement dédiée à la musique où le propriétaire, Olivier Bloch-Lainé, a amoncelé une collection d’objets mythiques (comme la console de son du tout premier studio Barclay, la sono de Brel…). C’est un peu une maison d’hôtes à thème musical, où tu dors, tu manges, tu vis… Nous avons fait les prises de son dans la salle à manger, avec deux ou trois paravents comme seule isolation sonore. Nous avons tout capturé live, dans l’humeur et l’orchestration acoustique du moment. Sergio (Teyssot-Gay, guitare – ndlr) a très vite trouvé ses interventions. Le minimalisme du morceau donne pas mal de liberté pour s’y immiscer et le malaxer de l’intérieur. Le plus gros travail a été sans doute pour Bertrand. Il a fallu qu’il prenne ses marques au chant : la métrique de Bashung est unique et l’on n’en trouve pas le rythme instantanément. Je ne veux pas parler à sa place mais il a dû aussi mettre un peu de temps pour porter le texte. Dès le premier jour, nous savions que nous étions sur la bonne voie. Nous n’avions jamais travaillé aussi vite. Deux prises plus tard, la chanson était gravée.” Propos recueilli par Marc Besse
Invité Invité
Sujet: Re: Alain Bashung / Noir Désir Sam 21 Jan - 14:18
vraiment trés trés belle interprétaCion !!! Comme d'hab, à chacune de sSses cover c'est sSsiouper habité.....